Rappeuz lyonnaise à la plume brute et poétique, tranchante et souple, Takis RT se démarque par son audace musicale et son egotrip assumé. Elle réussit à créer une véritable faille spatio-temporelle, en traçant sa voie entre l’héritage du rap old school et les sonorités avant-gardistes de la new wave.
Avec son nouvel EP aRT, sorti le 18 juillet dernier, elle livre un projet hip-hop aux inspirations drumless, samples et soulful.

“Ce n’est pas mon premier projet, mais c’est clairement l’un des premiers où j’ai osé faire le rap que j’aime vraiment et celui que j’écoute moi-même, sans chercher à plaire.”
Et ça s’entend.
aRT est précis, vivant et sincèrement habité.
Une artiste qui n’est pas là pour le buzz, mais pour le fond — pour la culture, pour les mots, le groove et la vérité.

L’EP s’ouvre sur La technique une boom bap au sample intronisant où, dès les premières mesures, Takis RT pose le décor : elle avance pas à pas, sans brûler d’étape, mais avec une détermination limpide.
“J’franchis des steps, des portes se ferment mais y’en a plein qui s’ouvrent. Pendant qu’on vibe, y’en a plein qui souffrent. I keep my eyes on my goals, on pourrait croire que j’chouf”
Sa voix glisse sur la prod avec la grâce d’une bosseuse qui sait où elle va.
“Le trône j’y pose mes seufs, c’est qu’de la prose mes œuvres. Je suis là j’avance crescendo je suis dans mon processus, y a plein de rappeurs et pas que des pros c’est sur, j’ai d’l’or dans l’processeur “
À travers ce premier titre, on découvre une artiste qui a le souci du détail, à la fois cérébrale et instinctive — c’est une belle entrée en matière.
Sur un fond smooth et soulful, Takis RT manie l’ironie et la lucidité avec désinvolture et confiance. Sur ce deuxième titre à la fois doux et insolent, Cadillac/ anaconda, elle habille ces phases d’une écriture très imagée, et nous embarque facilement dans son récit; celui d’une artiste qui roule sa bosse tout en sachant que la vie n’est pas un long fleuve tranquille.
” C’que j’évoque c’est pas des balivernes, tu fais des sons d’été on t‘cancel en hiver”
Ici, Takis RT joue sur les contrastes — la douceur du son contre le tranchant de sa plume, la dérision contre la profondeur:
“Ma shit est royal comme Ségolène, je connais l’humain et ses colères”
Entre punch et poésie, Takis RT impose subtilement sa signature:
“ Vody dans le caddy y’a qu’mes vrais g qui savent. J’écoute du Casey et puis Vini pou Kassav . Et s’ils viennent tuer l’game T lave le cadavre”
“ On vit des choses mais pas la version qu’on raconteras. Bitch j’ai l’bras long, autant d’venin qu’plus grands anacondas”
C’est avec cette réplique tirée des Infiltrés que le titre démarre: “ I don’t want to be a product of my environnement. I want my environnement to be a product of me”.
Solange, c’est sans doute le morceau le plus intime du projet. Une parole touchante et beaucoup plus introspective qui va droit à sa mère. Elle y parle d’absence, de résilience, de survie, avec une tendresse pudique :elle raconte ,se confesse, se livre …
“Allo maman comment ça va, longtemps qu’on s’est pas parlé. Tout va bien pour moi, enfin j’ai choisi d’pallier. Tous les maux qui m’pèsent, j’mallège pour changer d’pallier”
Dans cette lettre ouverte, elle passe le message qu’elle tient bon, qu’elle avance malgré les manques :
“J’observe les étoiles m’disant qu’tes l’une d’entre elles. De loin la plus belle. J’marche dehors je flex, survie mon seule réflexe”
“Plus je t’aime, plus j’me déteste. Comment passer des steps si la vie me fait que des tests, t’es le fruit, je suis le zeste”
Ici, elle fait rimer vulnérabilité avec force , fidèle à son flow et à sa plume, elle démontre que son art va au-delà d’une simple attitude.
aRT morceau éponyme et dernier de l’EP, est un bien plus qu’il n’y parait; c’est un un recueil, un manifeste, une profession de foi où la rime est à la fois son épée et son bouclier.
“j’vois ces rappeurs ils débattent, j’veux juste faire ce que j’aime, j’suis l’ennemie à abattre”
“J’écoute que la madré, pas le padré. Elle nous faisait à graille, et l’autre il nous mitraille.”
“L’argent c’est pas le problème, c’est le temps qui nous aliène, ils parlent plus qu’ils ne font, ils gaspillent leur haleine”
Elle y évoque le doute, le combat intérieur, mais aussi l’espoir têtu qui la pousse à continuer.
“ je m’endors avec ce rêve chaque soir, je me lève que si je redouble d’espoir”
“je n’ai que des ambitions démesurées”
elle conclut ce morceau et ce projet avec cette évidence :
“On me dit de pas y aller (moi j’te jure j’irais) m’éloigner du rap, c’est suicidaire”
Dans aRT, Takis RT y fait dialoguer le fond et la forme, la technique et la sensibilité. À travers ses textes, on en apprend davantage sur elle, sur sa vision, sa manière de voir le rap et le monde qui l’entoure. Pas là juste pour la fame, mais pour l’amour du hip-hop, de son histoire et de ses codes, Takis RT soigne chaque détail pour nous offrir un projet cohérent, méticuleux qui sort tout droit des tripes et du cœur.
aRT c’est son nouvel EP mais c’est surtout une déclaration d’identité, une preuve de justesse.
Takis RT y trace sa route avec élégance, conscience et détermination— et confirme qu’elle ne cherche pas la lumière, elle l’a crée.



